Recherche
Chroniques
Jonas Kaufmann chante les Wesendonck Lieder
Orchestre national de France, Daniele Gatti
En contrepoint des cinq représentations de Tristan und Isolde qui marquent le retour de Richard Wagner dans la fosse du Théâtre des Champs-Élysées après presque trente ans d'absence [lire notre chronique du 12 mai 2016] – l'échanson de Bayreuth devait jusqu'alors se contenter du concert, certes non sans succès –, l'Orchestre national de France et son directeur musical Daniele Gatti offrent ce qu'il est convenu d'appeler une soirée de prestige, attendue par le microcosme parisien. La raison tient évidemment à la présence de Jonas Kaufmann, entre deux Meistersinger munichois, qui draine un public moins accoutumé aux grandes messes symphoniques, et dont une marge désertera d'ailleurs le Bruckner de la seconde partie.
C'est cependant une voix passablement fatiguée qui sonne dans les Wesendonck Lieder, enregistrés il y a quelques mois [lire notre critique du CD], contemporains de l'écriture « tristanienne », où des réminiscences des deux premiers épisodes du Ring déjà composés ne sont pas à exclure – entre autres Die Walküre et le duo du printemps au premier acte. La juvénilité de L'Ange (Der Engel) se teinte d'une réserve qui n'épargne pas aux oreilles quelque écho d'une fragilité perceptible. L'héroïsme de Schmerzen met çà et là en danger des aigus prudents qui décevront inévitablement le souvenir de plus d'un aficionado, quand bien même la subtilité de la musicalité ne se trouve jamais égratignée. En témoignent le deuxième poème, Stehe Still, et plus encore Im Treibhaus qui s'évanouit dans des diminuendos à la délicatesse ineffable effleurant et effeuillant les murmures de l'intimité, accompagnés par l'écoute presque suspendue de l'orchestre et le lyrisme du violon solo d’Elisabeth Glab. Quant au conclusif Träume, il baigne dans un semblable éther, au diapason des pulsations oniriques du texte.
L'Orphée de Liszt proposé en ouverture ne retiendra sans doute pas l'attention durable des amateurs de glottes comme des grandes fresques symphoniques. Si les trouvailles qui fécondèrent le travail de plus d'un musicien peuvent demeurer modestes dans ce vaste mouvement trempé dans un continu frémissement un rien sucré (qu'on pourra retrouver dans la touchante Psyché de Franck par exemple), on ne manquera pas la transparence des textures indissociable de la construction harmonique et de l'évolution mélodique, ramenées ici à une cohérence empreinte d'un certain germanisme, lequel sacrifie néanmoins à quelque décalage en début de pièce.
En mi majeur, la Symphonie n°7 de Bruckner appelle dès le frissonnement inaugural à un climat lumineux, sinon optimiste. La lecture dynamique proposée par Gatti va d'emblée dans ce sens et s'appuie sur une dynamique des basses qui impulse à l'ensemble de l'Allegro moderato un allant jusqu'à l'aveuglante péroraison finale. Pour autant les tempi n'ont rien de précipité, cette énergie tient d'abord à la sculpture d'une glaise sonore où se fond, sans toutefois s'annuler, l'architecture de l'œuvre. La densité des violoncelles dans l'Adagio peut en livrer un avatar, où l'intensité expressive prime sur le détachement mystique. Le robuste Scherzo vivace ne manque pas de lisibilité, quand le Finale reprend les recettes ci-dessus explicitées d'une interprétation qui privilégie l'ascendance romantique au cisèlement de pupitres plongés dans l'énergie collective.
GC